Pandémies et perte de biodiversité : quel est le lien ?

Une épidémie exceptionnelle?

La pandémie COVID19 est un événement unique dans l’histoire récente en raison de ses effets sur notre système social et économique. Peu des choses ont réussi à perturber la vie de milliards de personnes aussi brutalement, aussi rapidement et à une si vaste échelle. Cependant, cette pandémie présente tous les traits d’une histoire déjà vécue à plusieurs reprises par le passé. Le virus SRAS-CoV2 n’est en fait que le dernier exemple d’une longue série d’agents pathogènes qui affectent l’homme en étant d’origine animale (les zoonoses). L’histoire de l’humanité est parsemée de pandémies qui sont nées chez des hôtes animaux et qui nous sont parvenues à la suite de ce qu’on appelle les « sauts d’espèces » (“spillovers” en anglais)[1].

Le virus Ebola est très probablement dérivé de virus qui ont infecté originellement des chauves-souris [2]. Le virus de l’immunodéficience humaine (VIH), qui a tué plus de trente millions de personnes dans le monde depuis les années 1980, est né chez les primates les plus proches de l’Homo sapiens, les chimpanzés [3].  Il existe également tous les virus zoonotiques de la famille de la grippe dont les plus connus sont ceux d’origine porcine et aviaire [4]. Par exemple, le virus de la grippe espagnole qui, en 1917, a fait cinquante millions de victimes dans un monde déjà épuisé par la Première Guerre mondiale. Ce dernier a probablement une origine aviaire [4]. Cette liste n’est d’ailleurs pas exhaustive [5-11].

Principales épidémies zoonotiques du dernier siècle.
Les dates et les lieux géographiques indiqués représentent l’année et le lieu d’identification du virus. Dans certains cas cependant, le lieu et la date du saut d’espèce peuvent différer de ceux indiqués dans la figure (comme c’est le cas du VIH, qui serait passé à l’Homo sapiens en Afrique au début du XXe siècle) [3].

Protéger la biodiversité pour nous protéger nous-mêmes

L’épidémie de SRAS-CoV2, malgré son caractère dramatique, n’a donc rien d’ « exceptionnelle » par rapport à de nombreuses pandémies passées. Il n’empêche qu’elle a le pouvoir de nous imposer une réflexion sur l’origine et les causes de ce type de maladie ainsi que sur la manière dont elles vont façonner notre société à l’avenir.  La vitesse à laquelle ces nouveaux agents pathogènes apparaissent et se propagent chez l’homme s’accélère et prend une importance et une fréquence jamais vues auparavant [1]. Pourquoi cela se produit-il ? Quelles en sont les causes ? Il y a deux réponses principales . Premièrement, nous vivons dans un monde hautement connecté, dominé par un flux continu et immense de biens et de personnes se déplaçant d’un bout à l’autre du globe, créant les conditions parfaites pour la propagation rapide d’agents pathogènes qui, dans le passé, seraient probablement restés confinés dans des zones géographiques très restreintes. La deuxième raison est que nous bouleversons et dégradons les écosystèmes à un rythme de plus en plus rapide, poussés par une faim insatiable de nouvelles ressources à exploiter et de matières premières à consommer. Chacun de ces écosystèmes abrite une variété incalculable d’espèces animales et végétales uniques, chacune accompagnée de ses propres virus et agents pathogènes. La déforestation, l’érosion des habitats naturels, leur remplacement par des établissements humains ultra urbanisés et des monocultures, la mise à mort et la consommation de gibier… Toutes ces actions libèrent de nouveaux virus de leurs réservoirs d’origine, leur permettant de se rapprocher des humains et, de plus en plus, de nous infecter. Il en va de même pour le virus SRAS-CoV2 [12].

Le COVID19, comme toutes les maladies qui lui ressemblent, nous rappelle donc avec brutalité une chose : nous les êtres humains sommes, après tout, des animaux aussi faisant partie d’un réseau indissoluble qui nous lie aux êtres vivants, même si nous avons parfois tendance à l’oublier. Aujourd’hui, comme jamais auparavant, il est clair que la préservation de la biodiversité est essentielle non seulement pour assurer la résilience des écosystèmes, mais aussi parce que nous avons nous-mêmes besoin de cette variété pour survivre.

Repenser notre système de production, à commencer par l’agriculture

Dans les semaines et les mois à venir, les mesures de distanciation seront la meilleure stratégie pour minimiser les impacts de cette épidémie sur le système public de santé .  Mais à long terme, pour éviter que de telles crises ne se reproduisent de plus en plus fréquemment, il faudra revoir en profondeur notre système de production et de consommation, à commencer par le secteur agricole. En effet, l’activité agro-industrielle moderne est identifiée comme l’un des principaux contributeurs au développement de nouvelles zoonoses [5 ,13, 14]. D’une part, l’expansion des terres cultivées est la principale cause de la dégradation des habitats naturels Il suffit de dire que depuis 1960, la superficie des terres consacrées au secteur agricole a augmenté de 570 millions d’hectares, dont 440 millions d’hectares (soit 65% du total) sont utilisés pour l’élevage et l’alimentation du bétail uniquement.[15]. D’autre part, l’élevage intensif est un environnement parfait pour le développement de nouvelles zoonoses[13, 14]. Des milliers d’animaux quasi génétiquement uniformes à cause de la sélection artificielle menée pour  répondre à des besoins de production spécifiques, se retrouvent très souvent entassés dans des environnements petits et malsains. La diversité biologique dans ces lieux en est donc drastiquement diminuée, non seulement par la présence d’une seule ou de peu d’espèces, mais aussi par le faible taux de variabilité génétiques au sein d’elles-mêmes.  Un virus introduit dans une population de ce type peut agir sans être perturbé, sans rencontrer de résistance sous forme de variants génétiques capables d’empêcher sa propagation [13, 14].

La sauvegarde de la diversité biologique dans les milieux naturels et agricoles, la préservation et la maximisation de la variété des espèces animales et végétales que nous exploitons dans nos champs et nos campagnes, apparaissent donc comme notre meilleure défense contre les défis sanitaires et environnementaux d’un monde en mutation rapide. Il est donc grand temps de mettre en place plus de modèles agricoles qui favorisent le foisonnement de la biodiversité, et de soutenir ceux qui sont déjà en place!

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