Sorbonne Université vient de publier la première estimation officielle de ses émissions de gaz à effet de serre (ou Bilan des Emissions de Gaz à Effet de Serre, BEGES). LUPA a signalé à plusieurs reprises à l’administration de SU l’urgence de réaliser un Bilan de émissions émises (directement et indirectement) par ses activités. Tout d’abord parce que le BEGES est un outil indispensable pour connaître le véritable impact environnemental de notre Université (en d’autres termes, combien de tonnes d’équivalent CO2 elle émet en une année) et pour définir précisément le poids spécifique des différentes sources d’émissions polluantes liées à son fonctionnement. Sans ces données, il est évidemment impossible d’engager des manœuvres efficaces et efficientes pour réduire ces émissions et respecter son engagement officiel de transformation écologique.
Deuxièmement, parce que depuis 2010, la mise en place d’un BEGES est une obligation légale pour toutes les établissements publiques de plus de 250 agents, une obligation que l’Université de la Sorbonne a accompli avec un retard considérable par rapport aux autres institutions universitaires françaises (Vous pouvez trouver une liste de tous les BEGES effectués par les entreprises privées et les établissements publiques français, y compris les données qu’ils contiennent, sur le site de l’ADEME, l’Agence de la Transition Ecologique).
Nous ne pouvons donc qu’être plus que satisfaits de voir ces données tant attendues enfin publiées. Cette analyse sera un point de départ essentiel pour construire un véritable plan d’action visant à réduire l’impact environnemental de notre université. Compte tenu des données, le travail qui nous attend est vraiment imposant, mais ne nous décourageons pas.
Qu’est-ce qu’un un BEGES ?
Mais tout d’abord, qu’est-ce qu’exactement un BEGES ? Un Bilan GES est une évaluation de la quantité de gaz à effet de serre émise dans l’atmosphère sur une année par les activités d’une organisation. Les émissions sont classifiées selon des catégories prédéfinies appelées « postes ». Ce classement permet d’identifier les postes d’émission où la contrainte carbone est la plus forte. C’est sur ces postes que doivent porter les stratégies énergétiques et environnementales de l’entité réalisant son bilan pour réduire ses émissions.
Les catégories d’émissions qui sont prises en compte pour l’élaboration d’un BEGES sont:
💸les intrants: les achats de biens et services liés aux activités de Sorbonne Université (fournitures, papiers, plastiques, repas, services…);
✈️ les déplacements personnels, divisés en déplacements domicile-travail/lieu des études et déplacements professionnels;
🏗️ l’immobilisation des biens (les émissions liées à la construction ou à la maintenance des bâtiments, du parc de véhicules et du parc informatique);
🔥 la consommation énergétique pour le chauffage et la production d’électricité;
❄️le « hors énergie » lié aux fuites de fluides frigorigènes issues des climatisations;
♻️ les émissions liées au traitement des déchets ;
🚚 le transport de marchandises amont (en provenance des fournisseurs), interne et envoi de courrier.
Les résultats
En 2018, SU avec ses 26 sites a émis 52527 tonnes équivalent de CO2 (téqCO2). Cela correspond à 834 kg pour chacun.e de ses 53000 étudiant.e.s et 10000 membres du personnel. Face à l’empreinte annuelle moyenne de plus de 11 téqCO2 par habitant français, ces valeurs peuvent paraître assez faibles. Après tout, nous passons une grande partie de l’année à l’université (que nous soyons étudiant.e.s, professeurs ou personnel technique administratif). Il semblerait donc que notre activité universitaire soit très écologique si, tout en représentant une part si importante de notre vie, elle contribue si peu à notre empreinte écologique. Cependant, si l’on analyse en détail les données du bilan généré par la Sorbonne, on constate quelque chose de différent. Voyons pourquoi:

💸Les intrants: la plus importante source d’émissions
Si l’on examine la contribution de chaque catégorie au montant total des émissions, il apparaît clairement que l’achat de biens et de services est la partie la plus importante de l’empreinte carbone avec 59 % du total. Si nous rentrons dans les détails, nous pouvons constater que la plupart de ces émissions sont liées à l’achat de services, le matériel informatique, de produits chimiques et de machines pour les activités de recherche (69% du poste intrants). La fraction « Autres » comprend également les achats alimentaires et les repas, mais le document que nous avons obtenu ne précise pas si l’enquête a également pris en compte pour ses calculs les restaurants universitaires du CROUS situés sur les campus de Sorbonne Université. Si ce n’était pas le cas, il resterait la grande incertitude quant au poids des RUs sur le BEGES. Si, en revanche, les RUs étaient inclus dans les calculs, le poids de la restauration sur les émissions de GES serait relativement faible, moins de 3% de la composante achat.

✈️ Déplacements: le poids disproportionné de l’avion
Avec 7800 téqCO2 et 15% de la contribution totale, le transport des étudiant.e.s et des employé.e.s occupe la deuxième place. Ces chiffres incluent à la fois les émissions des voyages domicile-travail et les émissions des voyages professionnels et des missions d’enseignement et de recherche. En décomposant les données, une information ressort de façon écrasante : les voyages professionnels en avion, alors qu’ils ne couvrent que 8 % des kilomètres parcourus par les utilisateur.ice.s de SU en 2018, sont responsables de 45 % des émissions de ce poste (autrement dit 7% du BEGES entier).

🔥 La consommation énergétique et les autres sources d’émissions
Avec 6785 téqCO2, la production d’énergie pour le fonctionnement des locaux de SU se classe au troisième rang des sources d’émission de notre université, avec 4614 téqCO2 liées au chauffage (68%) et 2171 téqCO2 émises pour la fourniture d’électricité (32%). Cela correspond à 13 % des émissions totales calculées par le BEGES. La fraction restante des émissions se répartit comme suit :
🏗️ l’immobilisation: 10%
❄️de fuites de fluides frigorigènes issues des climatisations: 1,8%
♻️ traitement des déchets: 1%
🚚 le transport de marchandises en provenance des fournisseurs et envoi de courrier: 0,04%
Observations globales sur le BEGES
Si nous voulons aller au-delà des chiffres purs et simples, nous pouvons clairement voir comment les émissions de SU sont réparties de manière extrêmement asymétrique entre ses utilisateurs. Bien que les étudiants représentent la grande majorité de la « population » de l’université, étant 5 fois plus nombreux que le personnel, leur poids en carbone est relativement faible . En fait, on peut considérer que les étudiants contribuent au bilan CO2 de SU principalement par leurs voyages domicile/université et par l’utilisation des espaces universitaires (c’est-à-dire les bâtiments, dont les émissions sont principalement attribuable au chauffage/climatisation, à la consommation d’électricité et à l’entretien, c’est-à-dire les postes énergie, immobilisation et en partie les achats pour l’entretien).
Bien qu’importantes, ces sources d’émissions sont néanmoins mineures dans l’ensemble. En fait, les principales causes des émissions de CO2 sont principalement liées aux activités de recherche et de gestion de l’université, essentiellement par l’achat de machines, de produits chimiques et de matériel informatique, en plus des déplacements à des fins professionnelles (qui, nous le soulignons encore une fois, s’avèrent avoir un poids énorme sur le bilan carbone, représentant 7% du total). Bien que ces données ne soient pas surprenantes, elles sont absolument à prendre en compte si nous voulons identifier les priorités sur lesquelles agir afin de réduire efficacement et drastiquement l’impact environnemental de SU.
Un plan d’action peu ambitieux
Le rapport publié par SU ne se contente pas de présenter un instantané de ses émissions, mais propose également une série de mesures à prendre pour limiter son impact environnemental. Au-delà de certaines propositions plus symboliques qu’autres (comme la réduction de la consommation de papier de bureau et l’encouragement à la réparation du matériel informatique, des mesures qui réduiraient très peu l’impact climatique de SU), les changements proposés les plus significatifs sont liés à la consommation d’énergie. L’intégration d’un approvisionnement en électricité 100 % « verte » et la conversion des systèmes de chauffage, d’un système à combustible fossile en un système purement électrique, permettraient de réduire de 62 % les émissions du poste énergie, ce qui équivaut à 8 % des émissions globales SU. De même, le remplacement des voyages professionnels de courte durée en avion par des trajets en TGV garantirait une réduction de 8,4 % des émissions du poste déplacements, soit 1,25 % au niveau global.
La mise en place de l’ensemble des actions prioritaires proposées par le bilan permettrait une réduction des émissions de GES s’élevant jusqu’à 4963 téqCO2, soit près de 10% des émissions de GES du bilan 2018. Considérant que l’Union Européenne s’est officiellement engagée à réduire ses émissions de GES de 60% d’ici 2030, le plan de transition proposé par SU est clairement et largement insuffisant. Un plan véritablement incisif et décisif de réduction des émissions est plus urgent que jamais, et il existe de nombreux points de départ pour le faire.
La priorité absolue doit être accordée à la diminution de l’impact des laboratoires et de toutes les activités de recherche, qui contribuent le plus à BEGES mais qui, paradoxalement, ne sont même pas mentionées dans le bilan mis à disposition par SU. Dans une perspective transformatrice, la responsabilité du monde de la recherche est fondamentale, eu égard au rôle qu’il a toujours joué dans le développement, l’émancipation matérielle et intellectuelle. Question de cohérence, de crédibilité aussi. Depuis des décennies, le monde de la science sonne l’alarme sur les effets dramatiques du changement climatique. Il est temps pour elle de mettre en œuvre les changements radicaux qu’elle exige du reste de la société.
Depuis quelques années, des initiatives spontanées créées par des chercheur.euse.s du monde entier fleurissent, se mobilisant activement pour transformer en profondeur le monde de la science, comme le collectif Labos1point5 en France. Toutefois, l’impact et l’efficacité de ces initiatives restent limités par l’inactivité et l’inertie des institutions officielles, tant au niveau des universités individuelles qu’au niveau ministériel. Sans un travail coordonné, uniforme et officiellement soutenu par l’État, nous n’aspirerons jamais aux changements rapides et radicaux dont nous avons besoin.